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Chypre

Coty

Flacon de Chypre - Coty
Les Classiques - Les grands disparus
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Voyage en territoires inconnus

par Thomas Dominguès (Opium), le 30 décembre 2014

Les chypres existaient avant "le Chypre", depuis des siècles. Pourtant, trop souvent synonymes de flou et d’imprécision puisque l’on ne connaît toujours pas actuellement les raisons et origines du terme "chypre", il faudra attendre le début du XXème siècle pour que les choses soient mieux connues et maîtrisées en termes de constitution des caractéristiques de ce qui deviendra l’une des quelques familles de la parfumerie. (Originaire de l’île du même nom qui aurait vu naître Aphrodite ou du cyperus esculentus également connu sous le nom de "suchet comestible", plante originaire du bassin méditerranéen ?, on ne sait vraiment...)

Avant 1917, date d’apparition de l’œuvre fondatrice de Coty, de nombreuses créations porteront cet intitulé et nourriront la confusion. Depuis les oiselets de Chypre du Moyen-Âge jusqu’aux créations du XVIIIème siècle, nombreux seront les chypres qui existeront sous des formes diverses.
Ce n’est qu’au XIXème siècle que, peu à peu, certaines ébauches d’éléments se dessinent de manière plus ferme bien qu’encore pas totalement figée. Le contraste entre un envol hespéridé frais et un fond boisé sombre devient alors plus fréquent et régulier. L’importance faite aux éléments constitutifs de la base devient alors prédominante également. Mais, rien encore n’est parfaitement dessiné. Malgré l’esquisse de traits généraux et les tentatives de définition de structures nouvelles, les règles restent alors toujours imprécises. Les contours de ce qui est entendu par "chypre" demeurent assez flous.
Ces parfums connaîtront ainsi autant de variations de formes que de lancements au fil des décennies et, ce, jusqu’en 1917.

A cette date, le squelette de ce qui deviendra l’une des branches généalogiques les plus emblématiques de la parfumerie sera forgé par Joseph Marie François Spoturno, plus connu sous le nom de François Coty. L’opposition d’un clair-obscur entre des débuts lumineux, frais et aériens et un final à l’ombre des sous-bois deviendra alors la norme.

Pour cela, l’habituelle bergamote est juxtaposée à des notes sombres qu’un cœur floral alimente de son fondu-enchaîné, traditionnellement rose et jasmin pour l’épaisseur et la brillance. Notes animales, patchouli et mousse de chêne servent alors de support souple et résistant, adouci par des motifs ambrés pour le moelleux, de treille qui modifie la perception de l’ensemble, comme on parvient toujours à apercevoir un sujet au travers des orifices d’un grillage, d’un pochoir ou d’un napperon, mais modifié, moins clairement. C’est là la force de cette structure : laisser apparaître la vision globale d’un motif tout en l’assombrissant un peu, créant une sensation de mystère, de non-dit, qui, sans pour autant dominer le sujet, chiaroscuro toujours intelligible, le rend simplement plus séduisant et intrigant car moins facilement compréhensible. A la manière, également, dont on pourrait apercevoir, brièvement, certains éléments de vie au travers du foisonnement de feuillage, troncs, branches et mousses d’une forêt.

Chypre de Coty apparaît d’autant plus sublime qu’il affiche assez fièrement une certaine superbe, altière et distanciée. Au point qu’on pourrait en dire que, à l’image des autres descendants de ses prestigieuses lignées, il est presque plus intéressant dans son approche intellectuelle et cérébrale que dans le ressenti purement émotionnel qu’il accepte d’offrir à qui l’approche. Autrement dit, ce clan est bien, avec les aldéhydés, celui des "intellos de la famille" comme on l’exprimerait aujourd’hui. Difficile d’accès d’abord, très sec et presque trop sévère dans l’exposition de sa fierté, il lui manquerait quasiment ce "petit quelque chose" qui fait toute la différence.

Charnière essentielle à la constitution de la dynastie la plus ardue à appréhender de la parfumerie, parce qu’il se moque de savoir s’il plaît ou non, Chypre fascine plutôt qu’il séduit. Alors que Chanel No. 5 innove et apparaît avec des formes généreuses déjà adultes, tel n’est pas le cas de la création plus anguleuse de Coty. Au point que, à l’image de L’Origan qui renaîtra chez Guerlain sous les traits de L’Heure Bleue, Chypre saura se faire plus séduisant sous les traits plus replets et charnels d’une peau de pêche duveteuse avec Mitsouko deux ans plus tard. Et, il en sera de même durant des décennies ; les chypres, à l’image de ces autres forts en caractère que sont les cuirs, seront d’autant plus harmonieux et captivants qu’ils seront associés à d’autres catégories olfactives, qui nourriront de leur chair plus conviviale et diversifiée une forme par trop rigide qu’elles arrondissent en la rendant moins austère et plus souple. La matrice de la mécanique moussue avec son système d’articulations, rouages et chevilles, est déjà parfaitement en place ; y manque uniquement la lubrification, l’huile, essentielle au bon coulissement du jeu des mécanismes et à la fluidité du déroulé.

Il n’en demeure pas moins que Chypre, avec son ossature épaisse, montrera une charpente suffisamment solide pour qu’elle supporte nombre des plus beaux chefs d’oeuvre du XXème siècle. Presque "générique" tant il peut apparaître réduit à son plus simple appareil, l’archétype de Coty n’en n’est pour autant nullement banal, puisqu’il sera le générateur, le moteur, nécessaire à des dizaines de parfums sublimes à l’élégance parfois considérée comme spartiate. Et qui, pour autant, ne manquent certainement pas de personnalité avec leur raffinement inégalable dont une part même de la beauté réside dans cette distanciation, cet éloignement qui conjugue le sublime à un énigmatique, dus à l’attrait qu’engendrent le mystère et l’incompréhension.

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Thelittlebox

par Thelittlebox, le 2 janvier 2015 à 12:26

Merci Opium :)

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par Opium, le 14 janvier 2015 à 18:07

Bonsoir Thelittlebox.
Avec plaisir ! ;-)
À bientôt.
Opium

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par Nouchka, le 31 décembre 2014 à 22:38

Merci pour cet article !
Je cherchais justement des informations sur ce parfum mythique...
Connaissez-vous également le parfum du même nom de Sauzé ?
Une charmante dame de mon entourage...et qui va fêter ses 90 ans dans quelques jours m’en parle avec effusion !
Le parfum de sa jeunesse ! Son premier parfum de femme !

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par Opium, le 1er janvier 2015 à 19:48

Bonsoir Nouchka.
Avec plaisir !
Malheureusement, non, je ne connais pas la création du même nom de Sauzé datant de la fin des années 20 je crois. Cela doit être impressionnant de penser ou discuter d’un parfum qui remonte à aussi loin en connaissant quelqu’un qui le porte depuis si longtemps. ;-)
Bonne soirée.
Opium

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par Nouchka, le 2 janvier 2015 à 00:20

Hélas...depuis longtemps déjà elle ne trouve plus son précieux nectar...
Mais c’est un vrai plaisir de l’entendre parler de ce parfum en rosissant encore comme une jeune fille !

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par Memories, le 30 décembre 2014 à 23:29

Opium, cet article est un plaisir et la première phrase de Jicky résume parfaitement ce que j’en pense aussi.Bravo bis donc (je pense n’avoir jamais lu de commentaire aussi complet sur ce parfum).

Comme tu le précises, il existait depuis le Moyen-Age des fragrances qui s’étaient appelées "Chyprés".Mais, ces dernières étaient plutôt des compositions certes odorantes mais principalement destinées à l’hygiène corporelle sous son aspect soin, beaucoup de leurs composantes étant considérées comme bienfaisantes pour la peau, avec une action déodorante et antiseptique.Le coup de génie de François Spoturno-Coty fut de classer de façon nette et précise sa création dans la catégorie "parfumerie grand public (si l’on peut dire) de l’époque.....Pour ce faire, utilisant les notes de synthèse de l’époque, il remplaça les rhizomes d’iris des anciennes formules de chyprés par des substances synthétiques industrielles telles les méthylionones.A partir de là, la voie était ouverte pour l’inclusion des chyprés dans les familles olfactives.

Ce nom, "chypré" dont tu as fait le lien avec l’île d’Aphrodite (Vénus) s’inscrivait en tous cas, parfaitement dans la vague de l’époque où l’Orient, son mystère et ses parfums subergeaient tout.Les flacons de cette période empruntaient au rêve par leurs coupes en rondeurs et en coubes et leurs noms synonymes de voyages.Tel était le cas des premiers flacons de ce magnifique chypré de Coty.

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par Opium, le 1er janvier 2015 à 19:44

Bonsoir Aryse.

Merci beaucoup, je suis, sincèrement, très heureux de lire tes propos et compliments à propos de cet article. ;-)

Je te remercie également par ailleurs pour les éléments historiques qui complètent ce que j’ai écrit et m’ont encore appris des choses. C’est parfait, merci beaucoup !

Bonne année encore !
A bientôt.
Opium

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Jicky

par Jicky, le 30 décembre 2014 à 21:49

Bravo pour cet article très important et surtout d’une clarté, d’une pertinence et d’une pédagogie qu’il faut souligner. Chapeau bas, c’est super.

C’est que c’est pas facile de parler du Chypre de Coty. Tu le dis très bien avec cette phrase : "Presque "générique" tant il peut apparaître réduit à son plus simple appareil". C’est très difficile de parler du Chypre car effectivement, quand tu essayes de le décrire, bah au final il n’y a pas de caractéristique qui permettrait de trouver un fil. Juste t’as envie "oui, soit, ça s’appelle un parfum" alors que c’est tellement plus ! Joue en plus de ça, sa disparition qui fait qu’on n’a jamais vraiment pu le porter, se l’approprier et le comprendre sur la longueur. Donc vraiment, bravo, l’exercice était très difficile, je n’aurais pas réussi à faire ça.

Trêve de flatterie.
J’en reviens au Chypre, sans en parler vraiment (pour les raisons évoquées ci-dessus). C’est vrai que son côté générique est très marquant n’empêche que, quand les gens demandent s’il existe un parfum simplement chypré bah je vois pas trop. Il n’y a que Le Chypre pour rester vraiment archétypal (quoique... si j’avais à le "préciser", ce serait un chypre fleuri tant son coeur est jasminé mais bon...). Roudnitska disait que Pour Monsieur en était un digne héritier. Oui, soit. Mais Pour Monsieur est quand même très caractéristique des eaux chyprées de son époque et n’a pas le sombre, le relief et la profondeur d’un chypre plus "complet" selon moi.

En comparant les mouillettes à l’évolution, pour moi le plus proche reste indéniablement Mitsouko (surtout l’edp actuelle). Et, malgré son biais rose verte patchouli, Aromatics Elixir est un parfum bien typique de la famille aussi.

Encore bravo !

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par Opium, le 1er janvier 2015 à 19:41

Salut Jicky.

Merci beaucoup pour tous tes compliments concernant ce parfum qui était d’autant plus difficile à chroniquer qu’il fallait rendre hommage à un parfum disparu tout en étant intelligible et sans avoir à passer par les habituels poncifs sur sa suprématie. Car, s’il est bien fondateur, en comparaison de ses successeurs qui lui doivent beaucoup, il peut apparaître un peu handicapé par sa structure si épurée de toute fioriture qu’il peut sembler lui manquer des choses.

Bref. Merci beaucoup pour ton commentaire qui apporte un complément utile à propos des comparaisons possibles ou pas à propos de "ce" Chypre et pour tes compliments.
Passe une très agréable soirée.
A bientôt.
Opium

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Memories

a porté Chypre le 1er avril 2015

Sa note :

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