Modern Muse

Je me plie rarement à l’exercice de l’article traitant d’une nouveauté. Disons que j’ai souvent besoin de (beaucoup !) plus de temps et de recul que mes consoeurs et confrères pour me faire mon opinion, ce qui fait que lorsque je suis éventuellement prêt et disposé à me pencher sur une création récente, ledit parfum n’est plus vraiment une nouveauté et a déjà été commenté, analysé, disséqué partout ! Et il me faut avouer que je n’ai pas foncièrement l’âme d’un critique et que je préfère me concentrer sur des parfums plus anciens avec lesquels j’ai un vécu et je me sens une véritable "affinité", plutôt que de m’obliger à parler de choses qui résonnent peu ou pas en moi.
Mais le fait que l’on ait très peu (voire pas du tout) fait état du nouveau Lauder sur les blogs francophones depuis sa sortie européenne en février 2014, a attisé mon envie de relever le "défi".

Voilà pour le préambule, faisons à présent plus ample connaissance avec cette Modern Muse.

Elle s’ouvre sur une association de mandarine et de fleur d’oranger, qui se révèle un peu verte, un peu sucrée et chimique aussi. Mais cette sensation légèrement artificielle et collante est rapidement contrebalancée par des notes florales fraîches qui semblent, elles, bien plus naturelles avec leur tonalité végétale et humide rappelant le muguet recouvert de rosée d’Idylle, qui rappelle lui-même celui d’un autre Lauder, Pleasures.
La suite est censée exhaler des notes de fleurs blanches (jasmin, tubéreuse, lys), qui se font très discrètes sur moi, à moins qu’il ne s’agisse de prolonger la note de tête orangée et verte. En revanche, le patchouli est bien présent, mais il sait se tenir et domine un fond chypré bien fait, même si un peu trop sage car adouci par les incontournables muscs blancs. Etonnamment, ce sont malgré tout eux qui laissent sur la peau le plus beau souvenir de notre Modern Muse : une jolie trace poudrée, féminine et cosmétique, qui m’évoque le charmant Cruel Gardenia.

Lorsque j’ai dit à Jeanne que je voulais consacrer un article à Modern Muse (je ne l’avais alors pas encore senti), elle me l’a présenté comme un mélange de For Her et Elie Saab - Le parfum. Effectivement, on retrouve bien la fleur d’oranger du second et surtout le patchouli musqué du premier. Et c’est précisément le manque de créativité et d’inspiration qui fait la faiblesse de ce Lauder, un comble pour une fragrance censée représenter les femmes qui sont "une véritable inspiration pour les autres" !

Là où les Lauder ont généralement quelque chose d’intéressant ou de croustillant à raconter (qu’il s’agisse de marketing astucieux et d’une senteur à la limite de l’hystérie avec Youth-Dew, de défendre le patrimoine olfactif maison en contrant une marque française avec Cinnabar ou de décliner le thème fleuri aldéhydé à l’américaine avec White Linen), Modern Muse semble surtout renvoyer à un banal brief marketing en essayant de renouveler la formule à succès du parfum classe, charismatique et moderne de For Her, dont il propose une version pas très éloignée, juste plus lisse et consensuelle avec ses muscs blancs cotonneux, très agréables au demeurant, mais forcément moins signés que celui, sexy et animal, présent dans le Rodriguez.
Et à trop regarder du côté de ce qui marche en Europe, Modern Muse perd la touche typiquement américaine caractéristique de tout bon Lauder qui se respecte : ce punch, ce côté "je vais droit au but avec force emphase et puissance" avec ce que ça implique de manque de subtilité, bref ce panache que l’on retrouve même dans les parfums les plus floraux et frais de la gamme classique, brillent ici par leur absence. Même la tenue et le sillage, assez timides, semblent bien en deçà de ce à quoi Lauder nous a habitués en la matière par le passé.

Après, tout n’est pas négatif dans Modern Muse, puisqu’on lui sait déjà gré de nous épargner le sucre, le caramel et les fruits rouges, la marque semblant obstinément refuser de succomber à la tendance gourmande et de partir à la chasse aux adolescentes, ce dont on ne peut que la féliciter.
Dans la plus pure tradition Lauder, ce nouveau parfum, bien qu’un peu pâlot, moins flamboyant qu’à l’accoutumée, mais plutôt de bonne facture et plaisant à porter, vise une nouvelle fois les femmes adultes, élégantes et de bon goût : certes, l’entrée qu’elles feront dans la pièce où elles apparaîtront sera moins théâtrale et captivante, moins mémorable, peut-être même passeront-elles inaperçues, mais au moins ne feront-elles pas de "fragrance faux pas" avec un effluve trop sucré qui ne ferait qu’alourdir leur allure générale.

En ne cherchant aucunement à renier son public de toujours, très WASP et beaux quartiers de la côte est, la marque ne se trahit donc pas. De nos jours, c’est déjà beaucoup... même si ce n’est malheureusement pas un gage de parfum marquant et débordant d’originalité.