Champs-Élysées
Guerlain
Lumière maternelle
par Alexis Toublanc, le 3 septembre 2013
Admettre que quelqu’un qu’on aime n’est pas parfait n’est pas chose facile, surtout lorsque l’on est confronté à ceux de ses traits de caractères qui sont moins admirables que le reste. D’une certaine façon, il me semblait avoir tracé dans ma mémoire comme un fil invisible séparant les souvenirs merveilleux des souvenirs un peu moins vénérables, comme des petits points moins lumineux. Mon amour du parfum m’a ainsi amené à signer un pacte symbolique me poussant à ne pas franchir cette frontière. En me liant à jamais au parfum, j’avais choisi d’honorer les plus belles odeurs passées et de timidement laisser de côté celles que j’aimais mieux oublier.
C’est au détour d’une porte de bois sombre, dans la pénombre d’un placard familial, que je venais cependant de franchir cette ligne ; lorsqu’un flacon de Champs-Élysées s’est placé en travers de mon nez avide de découvertes. Tiraillements. Chemins.
Au bout d’un moment, j’eus l’esprit truffé de souvenirs bon et mauvais. Je me sentais presque coupable d’avoir coupé ce cordon-là et d’avoir reconnu durant une étincelle de secondes qu’une personne hautement estimée n’avait pas toujours été la perfection même. Et il était encore plus troublant de se rendre compte que je ne pourrai plus revenir en arrière et prétendre ne pas avoir conscience des moments "moins-que-parfaits".
Ainsi, il m’est impossible de dire que Champs-Élysées est le plus grand Guerlain, bien que pleinement conscient qu’il me touche plus que beaucoup d’autres. J’ai la volatile impression que c’est lui qui m’a insufflé le goût pour la lumière, le goût pour le sourire. Imaginez une fin d’après-midi baignée dans l’espace-temps et perdue dans la lumière (ou peut-être est-ce l’inverse ?), où vous profitez de la nature, cette nature même qui vous pousse à voir les "traits-moins-admirables" des êtres que vous aimez. Champs-Élysées m’a appris à voir le sourire qui rayonne à travers ces personnes.
Car il me semble que dans la famille des parfums lumineux, Champs-Élysées capte le vert et le jaune comme nul autre. En saisissant le mimosa dans ses atours les plus croquants, Champs-Élysées a réussi à abstraire la fleur jaune comme aucun autre parfum auparavant. Point de tour de force ni de démonstration magistrale ; c’est que l’évidence du propos s’est masquée d’un brouillard diaphane, petits points moins lumineux. Néanmoins, le parfum murmure ses répliques avec grâce et joue sans jamais sombrer. À vrai dire, il ne joue pas selon les règles classiques, mais se risque à improviser, exercice périlleux où chaque odeur, chaque couleur et chaque parole prononcée se doit de trouver un écho, lointain ou non. Il faut attendre que Champs-Élysées perde une timidité qui n’en est pas une, et dont j’ai hérité, pour que nos barrières de perfumistas civilisés tendent à être réceptives aux improvisations souriantes de ce Guerlain "moins-dramatique".
Champs-Élysées est resté unique et son jeu, sensible et lumineux, n’a selon moi jamais été égalé depuis maintenant une vingtaine d’années. Bien qu’il semble ne pas avoir outrageusement marqué son temps, j’ai toujours la vague certitude qu’il m’a marqué moi au fil des années.
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par Chris, le 7 septembre 2013 à 22:05
Merci Jicky pour cette belle critique. Ce parfum me donne toujours le sourire ( lumineux et gai ).
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par Jicky, le 13 septembre 2013 à 16:02
Oh super merci beaucoup ! Je suis donc tombé juste sur la luminosité de ce parfum :D !
par Azénor, le 7 septembre 2013 à 18:58
Je viens d’aller subrepticement ouvrir la petite armoire à parfums de ma mère pour m’asperger le bras de Champs-Elysées, et me voilà de nouveau enfant, lovée dans les bras de l’odeur rassurante et souriante qui consolait tous les chagrins et que j’inspire entre deux sanglots.
Je suis absolument incapable d’évoquer ce parfum de manière rationnelle mais je vous épargne tous les souvenirs et émotions qu’il fait surgir parce que vous risquez de vous embêter un peu au bout de la quatorzième page.
Je voulais surtout dire que j’étais contente (merci Jicky !) de voir un avis sur ce parfum un peu dénigré et qu’on oublie souvent face aux beautés plus tapageuses et moins sages des autres Guerlain.
Je me suis d’ailleurs souvent dit que son nom tape-à-l’oeil était un peu décalé, mais c’est surement parce que les Champs-Elysées m’évoquent plus le bruit et les nuées de touristes que le luxe, le calme, la volupté et les pompons délicats et solaires du mimosa. Et puis à chaque fois, je me rappelle aussi que c’est le nom de l’endroit où les héros, les poètes et tous les gens bien de la mythologie grecque se retrouvent après leur mort pour un repos bien mérité et je souris toute seule.
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par Jicky, le 8 septembre 2013 à 03:21
Merci beaucoup Olivia et Chris (et Dau aussi !) pour vos retours plein de compliments :)
Olivia, c’est drôle de voir qu’en fait, pour pas mal d’entre nous Champs-Elysées est un parfum de maman (vous, tambourine et deux autres qui ont réagi sur facebook). En fait, je vais l’avouer, le texte ne le dit pas explicitement explicitement explicitement (malgré quelques indications) mais c’était aussi le parfum de ma maman, et elle devait le porter quand j’étais tout petit (j’avais 2 ans quand Champs-Elysées est sorti) ce qu’il fait qu’il m’a vraiment marqué, un peu comme le 19 (que je me suis plus approprié bizarrement). Et c’est aussi pour ça que le texte est ambigu sur la personne ou sur le parfum.
Ce qui est drôle, c’est qu’avec Opium, on a proposé nos textes "parfums de maman" à un jour d’intervalle et quand on s’est appelé on s’est dit "oh tiens ! C’est super drôle" et surtout qu’on tente dans les deux cas de faire comprendre le recul qu’il faut pour écrire sur ce genre de parfum.
En tout cas, les commentaires pour ce parfum sont finalement plein de tendresse et c’est drôle quand on connait la réputation de ce Guerlain... C’est un peu le sujet qui fâche quand on parle de Guerlain (genre les heures les plus sombres : le début des reformulations, perte d’identité, rachat de LVMH, multiplication des sorties..,). Maintenant, avec le recul, on se rend compte que Champs-Elysées n’a finalement rien influencé du tout dans la parfumerie et s’est "désolidarisé" de ses copains des années 90. Vous l’avez dit, il est plus sage, moins tapageur, moins dramatique, mais finalement, il tend vers une certains intemporalité aujourd’hui puisqu’il parait vraiment moderne alors que beaucoup des parfums des années 90 commencent leurs premières infusion de Botox ;)
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par Olivia, le 12 septembre 2013 à 19:26
On devine que c’était aussi le parfum de votre maman Jicky, le titre aide il faut dire. D’ailleurs c’est rigolo parce que ma maman a aussi porté le n°19 (je devais l’aimer déjà parce que j’avais kidnappé la bouteille vide pour ne pas qu’elle aille à la poubelle !).
C’est très vrai que Champs-Elysées fait assez intemporel, tant mieux ! ;)
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par Jicky, le 12 septembre 2013 à 23:44
Le 19 et Champs Elysées ! Décidément ;)
Oui, iĺ y a certains floraux très beaux des années 90 qui n’ont pas pris une ride. J’ai un très beau souvenir de Eternity de Calvin Klein aussi. J’ai retrouvé un échantillon intacte du début des années 2000 et quand je l’ai senti j’ai capté "ça sent ma crèche !" Avec Champs Elysées c’est un de les souvenirs olfactifs les plus vieux (je devais avoir 2 ans) : une des dames à la crèche devait mettre ce parfum, j’ai vraiment un souvenir très précis, c’est dingue. Malheureusement, Eternity a pris très cher en reformulation, il a perdu toute ses notes épicées (beaucoup de restrictions sur l’eugénol, à l’odeur de clou de girofle)...
Quand je me rends compte de ça, j’ai peur pour la génération actuelle : ça va sentir le sucre ! Mais la tendance est tellement forte actuellement que j’espère que le sucre deviendra daté, désuet (genre la remarque des perfumistas dans 30 ans "le sucre c’est so 2012 !")
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par Olivia, le 13 septembre 2013 à 12:51
C’est assez incroyable la mémoire olfactive (j’irai sentir Eternity à l’occasion pour voir si je le reconnais). Je ne me rappelle pas avoir été marquée par un parfum si jeune, à partir de 2-3 ans, j’ai plutôt des souvenirs d’herbe coupée et de feuilles sèches (c’est ça de grandir à la campagne et d’avoir une cour de récréation qui est un champ :D).
Dans les crèches et les écoles ça dépend surement mais ça doit en effet beaucoup sentir le sucre (les pauvres petits, je suis sure que ça les empêche de se concentrer :D). En plus on a tendance à offrir des parfums assez sucrés et régressifs aux enfants (j’ai senti les trucs de chez Réserve naturelle y a quelques jours, c’est assez atroce, du genre Myrtille Chantilly, Charlotte aux fraises et Marshmallow… et c’est typiquement le cadeau pas cher qu’on offre aux petites filles… *pleure*).
Je prie aussi pour que ce soit dépassé vite et que Loverdose sente la grand-mère dans 30 ans !
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par Newyorker, le 13 septembre 2013 à 13:03
J’ai ressenti Eternity il y a quelques mois et vraiment je me suis fait la même réflexion, il a vraiment morflé. Il ne reste plus que des muscs blancs à foison. Quel dommage.
par dau, le 5 septembre 2013 à 10:45
Bravo pour cette jolie critique "honnête" qui remet le parfum à sa place.
Oui, Champs-Elysées n’est pas une merveille à porter au pinacle comme certains anciens Guerlain. Et alors ? C’est juste un très joli parfum, plein de charme. Quelque chose d’un peu plus léger. ça ne le rend pas moi attachant, au contraire... De même qu’une bluette pop nous fait fondre, Champs-Elysée peut nous enchanter. Parce qu’il est lumineux, nous nous rejoignons là-dessus, et parce qu’il est gracieux sans se prendre pour ce qu’il n’est pas, il sait faire voir la vie en rose. Et si on va le sentir sans idée préconçue, j’ai du mal à concevoir qu’on ne l’aime pas. Il me fait penser à Audrey Hepburn : pas une grande actrice dramatique pleine d’intensité mais ... c’est juste impossible de voir son visage à l’écran sans l’aimer.
(Oui, dans ce commentaire, je fais un peu midinette, mais c’est à la midinette en moi que Champs-Elysée parle.)
par Koimynose, le 4 septembre 2013 à 16:27
Bonjour !
Bravo et merci pour cette belle critique Jicky. J’aime bien quand on approche une création autrement par la voie classique "pyramidale", aussi pertinente et légitime que puisse être, bien entendu, ce point d’entrée.
Digression mode on : Aimer avec (et non malgré) les imperfections ou les défauts, une idée simple mais ô combien essentielle qu’il est bon de rappeler car, par rétroaction ou réflexion, elle nous remet aussi en quelque sorte à notre place- aux yeux de quelqu’un d’autre, on traine ses imperfections comme douze pschitt de One Million en eau de parfum concentré extrême intense ;) - oui je sais il sent super trop bon et qu’il déchire, c’est juste pour rigoler quoi lol.
Pour en revenir au jus, je ne l’ai senti, hélas, qu’une fois sur touche lors d’une excursion rapido au printemps Haussmann. Je crois bien qu’il me donnait plus l’impression d’appartenir à la collection des Aqua Allegoria... ou un truc du genre. Éloigné qu’il était de la trame des Guerlain disons, "phare".
A redécouvrir donc !
A bientôt !
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par Jicky, le 4 septembre 2013 à 23:05
Merci beaucoup Koimynose !
J’aime beaucoup lire les critiques pyramidales. J’aime beaucoup moins les écrire ;)
Je trouve très pertinente ta remarque sur aimer avec les défauts de quelqu’un. C’est un peu enfoncer des portes ouvertes, mais je suis vraiment d’accord ^^ (la réponse de neu-neu :p). Néanmoins, parfois il fait bon de prendre du recul pour écrire ou tout simplement aborder quelque chose avec plus de pertinence qu’une suite d’envolées lyrico-dithyrambiques ^^
En tout cas à l’occasion je te conseille vraiment d’aller y jeter un coup de nez. C’est vrai qu’on a un peu tendance à l’oublier ce Champs-Elysées, et qu’il est souvent décrié, mais honnêtement, il vaut quand même le détour ;)
par tambourine, le 4 septembre 2013 à 00:12
et puis qqpart c’est un parfum qui une fois de plus reprend le patrimoine guerlain pour le moderniser : insolence reprenait la violette d’après l’ondée, celui ci faisait une ôde au mimosa d’après l’ondée tjrs.... il y a tellement peu de lancements grand public autour de cette note que ça a le mérité d’être souligné.
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par Mado33, le 4 septembre 2013 à 00:19
Très joli parfum, divinement incarnée par Sophie Marceau, c’est un Guerlain que j’aime beaucoup aussi :) il dégage chaleur et spontanéité.
par tambourine, le 4 septembre 2013 à 00:06
Un des nombreux parfums (de guerlain) que ma mère a porté. Je ne dirais pas que c’est le meilleur non plus, mais il me replonge dans mes années lycée quand je le sens... et tu as raison c’est un parfum extrêmement lumineux. C’est marrant moi aussi je ressens cette aura de lumière jaune à son évocation...
IL détonne en effet un peu par rapport à la gamme guerlain, il n’a pas cette guerlinade en fond qui le rend si addictif ni ce poudré ni... bref certains des attribits guerlain mais il est agréable, lumineux, poétique dans un sens, grâcieux comme tu dis. Pas un chef d’oeuvre, mais très attachant ppur quiconque l’a connu bien porté :)
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par Jicky, le 4 septembre 2013 à 00:39
Je suis content que tu vois aussi cette lumière pour Champs-Elysées ! J’ai moi aussi, comme le suggère le texte, beaucoup d’attache à ce parfum, bien que je sois conscient que ce ne soit pas le plus grand de tous les Guerlain.
Néanmoins, avec le recul, ce n’est pas un parfum inintéressant : en fait, c’est - je trouve - le meilleur mimosa grand public (en même temps il n’y en a pas beaucoup), et c’est aussi un des plus originaux selon moi sur le marché (il est souvent soit très naturaliste-scientifique comme celui de L’Artisan, soit très "matière/effet" comme la fleur de Cassie chez Malle, voire son Eau d’Hiver). Là, c’est un mimosa beaucoup plus abstrait : les effets tactiles de la fleur jaune sont suggérés par la douceur veloutée de la pêche, sa luminosité est portée par un fond boisé/musqué éclatant... En clair, il est vraiment intéressant à découvrir, tout à fait d’accord avec toi ;)
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