Covid-19 : le jour où le monde perdit l’odorat

Depuis trois semaines environ, les articles signalant la perte brutale de l’odorat comme un symptôme du Covid-19 se multiplient en même temps que les témoignages, innombrables. Moi-même en étant victime, j’ai plongé le nez dans les recherches à ce sujet et ai enquêté auprès des personnes touchées afin de mieux comprendre la particularité de ces manifestations du virus qui ont mis les mots « anosmie », « hyposmie », « dysgueusie » et « agueusie » – encore inconnus de beaucoup il y a peu – dans toutes les bouches.

Note de la rédaction : le sujet étant particulièrement d’actualité, et de nouvelles informations étant diffusées chaque jour, nous souhaitons préciser que cet article a été achevé le 15 avril 2020.

Le monde sans couleurs

Au matin du 16 mars 2020 je me réveille sans odorat. Je savourais encore mon vin la veille au soir et remarquais avec plaisir que mon compagnon portait le joli Thé Noir 29 de Le Labo. Lui-même avait perdu l’odorat quelques jours plus tôt, attribuant cette perte aux allergies dont la saison commençait. Ni l’un ni l’autre n’avons le nez bouché, ni aucun autre symptôme susceptible d’être lié au Covid-19. Nous trouvons alors sur internet quelques rares témoignages de personnes atteintes du nouveau coronavirus ayant perdu leurs capacités olfactives, mais l’anosmie n’est pas listée parmi les symptômes référencés par le Center for Disease Control and Prevention (CDC), ni par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), ni par le site du ministère des Solidarités et de la Santé en France.Ce n’est à ce jour toujours pas le cas et la moitié des personnes interrogées n’ont pas fait immédiatement le lien entre leur perte d’odorat et le covid-19 par manque d’informations à ce sujet. En France, le test mis en ligne par le ministère des Solidarités et de la Santé a validé un algorithme co-développé par l’Institut Pasteur et l’APHP permettant d’orienter les personnes pensant avoir été exposées au Coronavirus (COVID-19) grâce notamment à un test en ligne (maladiecoronavirus.fr) qui fait figurer en quatrième question (sur 24) : « Ces derniers jours, avez-vous noté une forte diminution ou perte de votre goût ou de votre odorat ? » (Mise à jour : Le Centers for Disease Control and Prevention a depuis mis la perte d’odorat au rang des symptômes du Covid-19.) 

Les premières heures de la journée s’écoulent, sans couleurs olfactives. Le temps d’une nuit, le monde autour de moi s’est délesté de sa dimension invisible. Seule me reste la perception des saveurs, le sucré du miel, l’acidité de mon jus de citron matinal, le sel d’un plat autrement insipide. Rien de surprenant puisque les arômes des aliments sont détectés par rétro-olfaction, tandis que les saveurs – le sucré, le salé, l’acide, l’amer et l’umami – sont perçues grâce aux papilles gustatives de la langueD’autres récepteurs et processus physiologiques nous permettent également de détecter l’astringence, le goût métallique, la texture et la température des aliments. C’est ce que l’on nomme les fonctions proprioceptives. J’ai semble-t-il de la chance. D’après l’enquête réalisée auprès de 125 personnes dans le cadre de la rédaction de cet articleEnquête réalisée grâce à un questionnaire diffusé via Facebook entre le 27 mars et le 8 avril auprès de 125 personnes de 21 à 58 ans (52% des répondants entre 25 et 35 ans) – originaires de France, Angleterre, Ecosse, Irlande, Espagne, Italie, Pays-Bas, Belgique, Suisse Suède, Canada et Etats-Unis – ayant déclaré avoir brusquement perdu l’odorat depuis le début de l’épidémie de covid-19. Les pourcentages présentés dans cet article proviennent des résultats de cette enquête à moins qu’il en soit spécifié autrement., la perte de l’odorat liée au nouveau coronavirus semble s’accompagner chez certaines personnes d’une perte de la perception des saveurs également, soit une agueusie totale.Cette information doit être considérée avec précaution puisqu’il peut être difficile de différencier la perception des arômes et des saveurs Certains encore (20%) se déclarent insensibles aux sensations provenant du nerf trijumeau, une perte d’ordinaire rare. Ce nerf crânien qui arrive sur notre visage par les tempes et se sépare en trois branches – vers les yeux, le nez et la bouche – constitue un système d’alerte sensible à des stimulations qui ne sont détectées ni par la bouche ni par le nez : l’effet piquant des bulles de gaz carbonique, les effets thermiques dus aux épices (sensation de chaud) ou à certains aliments comme le menthol (sensation de froid). Si la perte de l’odorat demeure le symptôme dominant, ce sont, semble-t-il, l’ensemble de nos sens chimiques qui peuvent être altérés par le virus.

L’anosmie demeure un phénomène méconnu du grand public. L’enquête réalisée pour cet article révèle que 65% des personnes touchées n’avaient auparavant jamais entendu parler d’anosmie ou d’agueusie, et seuls 14% d’entre eux disent avoir déjà perdu l’odorat au cours de leur vie, majoritairement au cours de rhumes sévères. Si nous savons tous ce qu’est la cécité ou la surdité, la perte des sens chimiques semble inspirer moins de craintes. Elle constitue néanmoins un handicap majeur dont prennent aujourd’hui conscience des milliers de personnesNotons le travail de notre journaliste, Eléonore de Bonneval, dont l’exposition Anosmie, Vivre sans odorat, fait partie des initiatives visant à sensibiliser à ce handicap. . « Personne n’aurait pris le sujet à la légère s’il s’agissait d’un autre sens » fait remarquer avec justesse Jean-François Krebs, l’une des victimes de cette perte soudaine, d’autant plus handicapante pour lui que cet artiste emploie couramment des matières odorantes dans sa pratique. Lorsqu’elle n’est pas le résultat d’une anomalie congénitale, l’anosmie est souvent liée à une lésion totale ou partielle du nerf olfactif. Elle survient en général après une infection virale (comme la grippe) ou une allergie, suite à certaines infections des voies respiratoires supérieures (qui touchent plutôt les enfants) ou à une maladie inflammatoire chronique, dans le cadre de certains troubles neurologiques ou neuro-dégénératifs, ou encore suite à un traumatisme crânien. Selon les cas, l’odorat peut revenir au bout de quelques jours, quelques mois ou années, mais il peut aussi ne jamais revenir… 

L’anosmie est habituellement relativement rare : elle toucherait entre 1% à 5% de la population  selon les spécialistes, tandis qu’on estime qu’environ 15% de la population, majoritairement des personnes âgées, souffriraient d’hyposmie (odorat diminué). Mais la voilà qui se répand comme une traînée de poudre. Depuis la disparition subite de mon odorat mi-marsChez les personnes interrogées les symptômes remontent parfois au début du mois de mars, avec un net pic de manifestations la semaine du 17 au 23 mars., les témoignages se multiplient, les personnes atteintes, innombrables. En se parfumant le matin, le nez sur leur thé ou café, lors d’un repas, en faisant le ménage au vinaigre ou à la javel, ou encore au moment de changer une couche, si les manières de découvrir la perte de l’odorat sont variées, la stupéfaction est une et unanime. Les articles sur le sujet pleuvent désormais presque autant que les cas. Le monde semble, pour beaucoup, avoir perdu ses parfums. Pour 97% des personnes interrogées, la perte a été totale, absolue, et bien peu – 16% d’entre elles – déclarent avoir une forme de congestion nasale ou des difficultés à respirer. Seule une petite moitié de ces personnes ont consulté un professionnel de la santé, 7% seulement ont pu être testés, toutes positives. De plus, 59% des personnes interrogées déclarent connaître dans leur entourage d’autres personnes ayant récemment ressenti des symptômes similaires. Ce sont donc vraisemblablement des dizaines de milliers de personnes, au moins, absentes des chiffres officiels des contaminés du nouveau coronavirus…

Les conséquences de ces altérations, déjà bien connues des chercheurs qui travaillent sur l’anosmie mais parfois inattendues pour les nouveaux anosmiques, sont principalement la perte d’appétit (63% des personnes interrogées dans notre enquête), l’anxiété (58%), un sentiment dépressif (41%), d’isolement (38%), et une baisse de la libido (27%). La tristesse, la confusion, la désorientation, l’anxiété, la frustration d’être privé des plaisirs de la bouche en ces temps de confinement, celle aussi de trouver peu de réponses en ligne, le sentiment d’être en danger, dans l’impossibilité de détecter une odeur de brûlé ou de gaz, la peur également d’avoir été un vecteur de contagion sans le savoir, sont autant de sentiments qui animent les victimes. « J’ai peur de ne pas pouvoir sentir mon nouveau-né » s’inquiète une femme sur le point d’avoir son premier enfant, tandis qu’une mère s’attriste de ne plus percevoir l’odeur de ses enfants. Les relations humaines sont en effet, plus que nous le croyons, guidées par l’odorat. Sa perte se traduit également « par une impression de perdre une dimension importante dans la perception du monde » écrit l’une des personnes touchées. « J’avais l’impression de vivre dans le monde des morts » surenchérit une autre. Les ressentis se croisent et se ressemblent : « perdu », « isolé », sensation « d’enfermement », de « claustrophobie », « d’être enfermé en soi », « coupé d’une grande partie de l’extérieur », « coupée du monde », « d’être dans une bulle », etc. Une double prison pour tous ceux qui sont également confinés. Notre odorat nous lie au monde d’une manière unique. Par l’intermédiaire de la respiration il se fait le vecteur de messages incessants, parfois vitaux, perçus plus ou moins consciemment, jusqu’au jour où nous en sommes soudain privés.

Ce que disent les scientifiques

La perte brutale de l’odorat sans congestion nasale suffit désormais à établir un diagnostic du Covid-19. Certes, tous les Covid-positifs ne perdent pas l’odorat, mais tous les anosmiques sans cause apparente et sans inflammation peuvent se considérer positifs. Les chiffres cependant demeurent imprécis et difficilement vérifiables : d’après le virologue allemand Hendrick Streeck, les deux tiers des personnes diagnostiquées positives en Allemagne auraient perdu l’odorat. En Angleterre, la Pr Claire Hopkins du King’s College à Londres a mené une étude auprès de 2500 patients montrant que 60% de ceux ayant été testés positifs avaient perdu l’odorat. Le Dr Jérôme Lechien, le Pr Stéphane Hans – de l’hôpital Foch à Suresnes – et le Dr Sven Saussez – de l’Université de Mons en Belgique – ont de leur côté coordonné une étude par 33 médecins ORL et chercheurs dans 12 hôpitaux européens auprès de 417 patients présentant une forme non-sévère d’infection au Covid-19 et d’après leurs premiers résultats, 86% des patients infectés présentent des troubles de l’odorat et 88% des troubles du goût. Etonnamment, l’anosmie et la dysgueusie semblent nettement plus rares en Asie. Les publications chinoises faisaient plutôt état d’un taux à 5 % et une étude sud-coréenne menée sur 2 000 patients testés positifs révélait que seuls 15% auraient subi une forme d’anosmie. Une différence qui pourrait s’expliquer de plusieurs manières : « Le fait que la génétique des populations est différente ; ou peut-être que la structure anatomique de l’organe olfactif est différente ; ou enfin l’hypothèse qu’il existe une mutation du virus, qui serait plus virulent en Europe » avance le professeur Stéphane Hans.

Par ailleurs, la plupart des informations rapportées jusqu’à présent dans la presse ne sont encore que des suppositions. Si on a pu lire que ces altérations des sens chimiques dues au Covid-19 surviennent majoritairement chez une population jeune (entre 20 et 45 ans) et qu’ils s’accompagnent rarement d’autres symptômes, en réalité, 63% des personnes interrogées déclarent en présenter : éternuements les jours précédant la perte d’odorat, puis toux légère, courbatures, maux de tête, fatigue, fièvre, souvent sans gravité, et parfois quelques saignements de nez. En France, le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, déclarait également, dans son compte-rendu du 20 mars, que la perte d’odorat peut figurer au nombre des premiers symptômes du Covid-19. Dans les faits, il semble que l’incertitude règne encore quant à déterminer s’il s’agit d’un symptôme tardif, voire d’une forme de séquelle chez les patients asymptomatiques, ou au contraire d’un bio-marqueur, c’est-à-dire un symptôme précoce qui permettrait éventuellement un dépistage.

Quant à déterminer la cause de ces altérations de nos perceptions chimiques, les chercheurs commencent à avancer des possibilités, en se fondant principalement sur des études antérieures sur d’autres coronavirus comme le SARS-CoV-2 (Coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère) ou le MERS-CoV (Coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient). Une hypothèse largement reprise dans la presse avance que le virus affecterait le système nerveux central. Plusieurs expériences menées sur des souris génétiquement modifiées montraient en effet que le SARS-CoV et le MERS-CoV atteignaient le cerveau lorsqu’ils étaient inoculés par voie nasale – transitant potentiellement via le nerf olfactif – puis pouvaient s’étendre à certaines zones comme le bulbe olfactif, le thalamus et le tronc cérébralYan-Chao Li, Whan-Zhu Bai, Tsutomu Hashikawa, « The neuroinvasive potential of SARS-Sov2 may play a rôle in the respiratory failure of COVID-19 patients », Journal of Medical Virology, posté le 24 février 2020, revu le 14 mars 2020.. Cependant, d’après la Dr Danielle Reed, directrice adjointe du Monell Center à Philadelphie, haut-lieu de la recherche mondiale sur les sens chimiques, cette hypothèse n’a, à ce jour, pas été prouvée dans le cas du Covid-19.

L’autre hypothèse émise par les scientifiques, plus consensuelle, est que le virus affecterait les cellules de l’épithélium olfactif – zone à l’intérieur du nez où se situent les récepteurs.David Brann, Tatsuya Tsukahara, Caleb Weinreb, Darren W. Logan, Sandeep Robert Datta, « Non-neural expression of SARS-CoV-2 entry genes in the olfactory epithelium suggests mechanisms underlying anosmia in COVID-19 patients », BioRxiv, posté le 28 mars 2020. Si les neurones qui constituent les récepteurs olfactifs n’expriment pas les deux gènes clés permettant une affinité avec le Covid-19 (ACE2 et TMPRSS2Chao Wu, Min Zheng,  « Single-cell RNA expression profiling shows that ACE2, the putative receptor of COVID-2019, has significant expression in nasal and mouth tissue, and is co-expressed with TMPRSS2 and not co-expressed with SLC6A19 in the tissues », BMC Infectious Diseases, posté le 12 mars 2020 Waradon Sungnak, Ni Huang, Christophe Bécavin, Marijn Berg, HCA Lung Biological Network, « SARS-CoV-2 Entry Genes Are Most Highly Expressed in Nasal Goblet and Ciliated Cells within Human Airways », Cell Behavior – Cornell University, posté le 13 mars 2020.), certaines cellules de support (appelées cellules sustentaculaires) et certaines cellules souches de l’épithélium olfactif expriment en revanche ces gènes qui peuvent se lier aux protéines présentes à la surface du virus. Celui-ci peut alors dégrader ces cellules de support, entraînant de fait une altération de la perception olfactive. 

Expliquer l’agueusie est une tâche plus difficile encore, d’autant que le sujet est peu étudié. « Le virus pourrait tuer les cellules sensorielles gustatives présentes dans les bourgeons du goût des papilles gustatives ou alors tuer les fibres sensorielles des nerfs crâniens qui viennent au contact des cellules gustatives pour se renseigner sur les saveurs et qui conduisent le message au cerveau. Là on est un peu dans le no man’s land de la science et tout reste à faire » explique Hirac Gurden, directeur de recherches en neurosciences au CNRS à Paris. Quant à la perte de la sensation trigéminale, elle pourrait être causée par l’attaque par le virus des fibres sensitives du nerf trijumeau. « Ces fibres expriment des récepteurs sensitifs qui sont insérés dans la muqueuse olfactive, à côté des bourgeons du goût. Il est donc très probable que le Covid puissent avoir un tropisme pour les fibres du nerf facial (VII), du nerf glosso-pharyngien (IX) et du nerf vague ou pneumogastrique (X) qui innervent les bourgeons du goût » ajoute le chercheur.

Plusieurs équipes travaillent ainsi dans le monde entier à mieux comprendre l’ensemble de ces symptômes liés au Covid-19. Un consortium international de chercheurs spécialisés dans l’étude des sens chimiques, le Global Consortium for Chemosensory Research (GCCR), a notamment été créé afin d’élaborer rapidement et collectivement une enquête clinique (mise en ligne le 7 avril) destinée à faire progresser la recherche et dont les résultats déboucheront sur une publication. Nez vous invite, si vous êtes ou avez été victime de ces symptômes, à répondre à cette enquête, disponible en plusieurs langues, dont le français. 

Dans l’attente d’en apprendre plus, la Société française d’ORL (SFORL), conseille « aux personnes présentant de tels symptômes de rester confinées chez elles et de surveiller l’apparition d’autres symptômes ». La British Rhinological Society, la British Association of Otorhinolaryngology, et l‘American Academy of Otolaryngology diffusent des conseils similaires dans l’espoir de ralentir la propagation de l’épidémie, notamment aux États-Unis où le confinement n’est pas encore généralisé. Les médecins ont également reçu la consigne de ne prescrire ni corticoïdes – la cortisone, comme d’autres anti-inflammatoires, pouvant aggraver l’infection –, ni lavages du nez, puisque cela pourrait disséminer la charge virale le long des voies aériennes. Enfin, le Centre de recherche en neurosciences de Lyon est à l’initiative du site Odorat-Info pour tous ceux en quête d’informations ou désireux de témoigner.

Le retour des odeurs

Après que le virus a tué certaines cellules de la muqueuse olfactive, il faut du temps pour que se reforme un circuit nez-cerveau fonctionnel. « Les nouveaux neurones olfactifs qui vont s’insérer dans la muqueuse olfactive doivent envoyer des axones et se câbler correctement au bulbe olfactif pour une transmission correcte de l’information vers le cerveau. Un des moyens de faciliter ces nouvelles connexions, qui doivent être très précises entre la muqueuse et le bulbe, est la stimulation olfactive quotidienne qui aide à booster la neurogenèse » explique Hirac Gurden. Afin de favoriser le retour de l’odorat, les ORL français suggèrent ainsi de pratiquer un exercice quotidien consistant à sentir diverses odeurs comme la vanille, le café, l’aneth, le thym, la cannelle, le clou de girofle, la lavande, la coriandre, le vinaigre, la menthe et le cumin, après avoir préalablement lu le nom du produit pour donner le temps au système sensoriel d’associer les deux informations. L’association anglaise AbScent, à l’origine du groupe Facebook « Covid-19 Smell and Taste Loss » permettant aux victime de partager leurs expériencesLe groupe est passé en deux semaines d’une centaine de membres à plus de 1500., propose également un protocole de smell training, tandis que l’association française Anosmie offre sur son site son propre protocole de rééducation olfactive en douze semaines. Enfin, pour suivre l’évolution du retour de l’odorat, le site israélien Smell Tracker, créé par The Edith Wolfson Medical Center et le Weizmann Institute of Science et disponible en anglais, hébreu, arabe et suédois, propose de noter chaque jour ses capacités à percevoir une sélection de matières (faible/fort) et la qualité de cette perception (agréable/désagréable).

Le processus de récupération de l’odorat s’avère presque aussi déroutant que sa perte subite. Certaines personnes rapportent par exemple des sensations de picotement ou de brûlure à l’intérieur des narines. Le retour de la perception olfactive s’accompagne aussi parfois de phénomènes que je ne connaissais jusqu’alors que de nom. Parmi ceux-ci, l’hyposmie est évidemment le plus répandu : les odeurs sont perçues faiblement et les personnes interrogées décrivent l’impression d’avoir besoin de plus de proximité, de plus d’intensité dans l’inspiration, mais aussi plus de temps pour percevoir les odeurs. La moitié des personnes concernées ont également constaté que leur odorat fluctuait au cours d’une même journée, comme si certains capteurs s’allumaient et s’éteignaient successivement. Dans mon cas, moins de 24h après la perte, un carré de chocolat picoré machinalement révèle un peu de son goût : derrière la douce amertume de sa noirceur je perçois quelques nuances d’arômes. Pourtant, le soir venu, le monde des odeurs se trouve vierge à nouveau. Cela dure ainsi plusieurs jours, à me jouer des tours d’une heure à l’autre, alors que peu à peu me revient l’odorat. Je remarque que c’est en milieu de journée que ma perception me semble la plus affutée. « Mon odorat est le plus fort entre midi et 17 h. Avant et après j’en ai presque pas » rapporte une autre personne.

Après une dizaine de jours, alors que mon odorat semble en grande partie retrouvé, je fais, comme 8% des personnes interrogées, l’expérience étrange de parosmies, des déformations de la perception des odeurs : mon thé à la vanille dégage par exemple un fumet de saumon. C’est surtout lorsque je me penche sur mes parfums, des compositions complexes, structurées, achevées, que je réalise que ma perception est encore distordue. Non seulement je perçois l’alcool, cette odeur d’éthanol coupante de la première pulvérisation, avec une acuité toute nouvelle, mais surtout certains parfums présentent des aspérités inhabituelles ou semblent privés d’une partie de leurs notes et ne sont plus que des caricatures d’eux-mêmes. Dans l’un, le sucre de l’éthylmaltol éclipse presque tout le tableau ; dans un autre, le patchouli devenu monstrueux déploie des tentacules de camphre, de terre humide et de vieille cave pour étrangler la rose à laquelle il sert d’ordinaire d’écrin. J’ai soudain l’impression d’être victime d’une forme de daltonisme olfactif…

Parmi les personnes interrogées, 17% – moi comprise – ont également été victimes de phantosmies, un phénomène rare d’hallucinations olfactives, soit la perception d’une odeur – généralement désagréable – qui n’existe pas. Odeurs ponctuelles ou récurrentes de brûlé, de cigarette, de friture, de fromage, de détergent ou d’égouts hantent nos espaces de vie. Mais perçues par nous seuls, ces odeurs n’hanteraient-elles pas plutôt nos cerveaux ? Certains rapportent également percevoir sans cesse un désagréable goût métallique… D’après Danielle Reed, ces phantosmies pourraient être une conséquence du fait que le cerveau n’interprète pas correctement certains signaux pendant le processus de réparation du système olfactif décrit plus haut. Il semble également que ces hallucinations soient particulièrement présentes au réveil, aussi bien le matin qu’après une sieste. Mon compagnon m’expliquait ainsi se réveiller le matin avec une odeur poussiéreuse au fond du nez, senteur qu’il avait affectueusement nommée « odeur de sinus ». D’autres rapportent avoir senti en s’éveillant des effluves de poivron, de jambon, de chocolat ou de cigarette, parfois furtivement, comme des flashs sitôt sentis sitôt disparus. « Je me réveillais en rêvant d’odeurs, » raconte également Jean-François Krebs. « Je vis sur un bateau à Londres, et je me suis réveillé un matin en sentant une odeur d’eau un peu croupie, d’algues, l’odeur du canal que je parcours tous les jours. Mais ce n’était qu’un rêve, car je ne pouvais rien sentir au réveil. […] Comme si mon cerveau me faisait cadeau de l’odeur que j’aurais du sentir. » 

Au matin du dix-huitième jour, l’intégrité de mon discernement olfactif est revenu à la normale : je retrouve les parfums tels que je les ai toujours connus. Encore une fois, je fais partie des chanceux, c’est-à-dire des quelques 6% qui ont retrouvé leurs premières sensations dans les 48h suivant la perte. Après 6 à 10 jours, 34% des personnes touchées ne sentent toujours rien, autant disent avoir retrouvé partiellement leur odorat, et quelques 9% seulement ont recouvré leurs pleines capacités. Enfin, les témoignages ne sont pas rares de personnes souffrant encore d’une anosmie complète plus de 15 ou 20 jours après la perte. Dans ces cas-là, l’anxiété se fait croissante, mais les médecins sont optimistes, prévoyant une récupération totale dans 99% des cas, même si celle-ci peut prendre de longues semaines voire plusieurs mois. Et le monde alors reprendra des couleurs, peut-être en même temps que nous retrouverons notre liberté.

Je remercie chaleureusement Hirac Gurden, Directeur de recherches en neurosciences au CNRS à Paris, Dr Danielle Reed, Directrice adjointe du Monell Chemical Senses Center à Philadelphie, Dr Corinne Eloit et Dr Charlotte Hautefort, de l’hôpital Lariboisière à Paris et Dr Dominique Salmon de l’AP-HP et présidente du COREVIH Ile-de-France Sud, pour leur disponibilité et les informations qui ont permis la rédaction de cet article.

Illustration : Clément Charbonnier Bouet – Atelier Marge Design

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Commentaires

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Merci pour votre article, je me retrouve dans tout ce que vous décrivez, notamment pour les montagnes russes olfactives ! J’ai perdu mes deux sens le 13 mars, je sens a nouveau des choses mais tout est encore perturbé, le goût c’est encore plus lent. Je pense que ce doit être très dur pour ces victimes de séquelles collatérales ! ‘D’autant qu’on ne peut pas bénéficier de suivi médical ou de soutien amical (du « ça va revenir » au « tu es immunisée » ) c’est plus invisible que de perdre la vue c’est vrai ! Et au moins c’est réversible… j’espère !

Bonjour
Dès la première semaine de confinement j ai perdu les sens du goût et de l odorat subitement du jour au lendemain.Je n avais jamais connu ce désagrément auparavant.J avais l impression de manger mécaniquement de la matière. Je n’ ai merci que le sucre ou salé sans avoir le goût. L odorat idem j aurais pu avaler un flacon d huile de foie de morue sans problème.
C est une situation très frustante j avais l impression d être doublement confinée car enfermée dans cette bulle intérieure. J ai retrouvé le goût au bout d un mois seulement et certains jours plus du tout et le lendemain ça revenait. A ce jour je considère que j’ ai retrouvé les 2 sens a 70/100.
Si je peux être utile pour votre enquête et faire avancer la science je me tiens à votre disposition.
J ai omis de vous signaler que j’ ai 65 ans .

Merci pour cet article très intéressant j’ai perdu l’odorat et le goût le 15 avril et depuis toujours pas revenus. J’ai eu des mots de tête toux sèche et trois jours de diarrhée. Mon médecin a pu enfin me prescrire le test COVID j’attends les résultats.

De Grasse, capitale mondiale de la parfumerie,
J.ai crée lil y a quelques années un orgue à flaveurs ,
Qui permet de retrouver les senteurs perdues , au travers d.un menu olfactif
Mon concept est utilisé pour les enfants anorexiques et autistes en milieu hospitalier
Il est égal distribué en maison de retraite , pour les personnes débutant la maladie alzheimer .

J’ai eu les 1er symptômes de COVID le 16 mars, toux, rhume et fatigue. Le 19 mars je me suis aperçue que j’avais perdu l’odorat mais enrhumée c’est normal. Nous sommes le 24 avril et le COVID est passé mais l’odorat n’est pas revenu….Cela fait 5 semaines ! Quelle frustration et je reconnais ce sentiment d’enfermement. J’ai fait des test avec de l’huile essentielle: je sens vaguement le citron, le ravinsara, le tea tree mais très peu la lavande. Et même ces sensations sont fugaces et légères. Je ne sens ni la javel, ni le poisson qui cuit ni le gâteau au chocolat sorti du four !!! J’ai l’impression d’avoir le goût mais n’est ce pas un effet de la mémoire ?….et de toutes façons ce n’est pas très subtil.
J’aimerai qu’on m’assure que cela va revenir, je prendrai alors mon mal en patience. Je vais essayer les exercices préconisés de rééducation … Merci pour ce soutien.

Bonjour, pour ma part cela fera 5 semaines mardi que j’ai des troubles de goût et odorat.
L’odorat et goût ont totalement disparus pendant 15 jours, là l’odorat est revenu partiellement (30/40% max) je peux pratiquement tout sentir mais tout manque d’intensité, j’ai besoin de coller mon nez à ce que je sens.
Niveau goût par contre je ne sens que le sucré, acide, salé, j’ai l’impression de ne plus resentir l’amertume, et je n’ai aucune saveur en bouche à part Gingembre ou vanille ou grain de café croqué.
Si quelqu’un s’est vu prescrire un traitement efficace merci de partager! Bon courage à tous.

Cela fait maintenant six semaines (depuis le 20 mars) que j’ai perdue le goût et l’odorat brutalement, dans un contexte de grosse fatigue, éternuements et écoulement du nez (ces deux derniers symptômes ayant disparu très rapidement). Perte totale pendant 15 jours, et depuis l’odorat et le goût a commencé à revenir, avec parcimonie.
Depuis le début, je ressens bien le sucré, le salé, l’amer et l’acide, mais le goût de l’aliment ne suit pas, parfois à la première bouchée mais sans intensité et disparait ensuite. L’odorat quant à lui nécessite d’avoir le nez collé à ce que je sens.
C’est une sensation très frustrante. Tout comme Marion, j’aimerai qu’on m’assure que cela va revenir. Merci pour vos témoignages

Bonjour,
Merci pour votre article
Après symptômes d’allergie, courbatures et migraines, j’ai perdu le goût et l’odorat depuis le 26 mars
Depuis mes sens sont revenus mais partiellement et pas tout le temps.
C’est vraiment une sensation de double peine que beaucoup ne comprennent pas.
Encore merci à vous

Merci pour ce très bon article.

Privé d’odorat depuis plus de trente ans, je ne peux que me réjouir de voir que les rémissions, dans ce cas particulier, semblent fréquentes, et je ne peux que conseiller vivement de rester attentif et de pratiquer la stimulation olfactive.

Je vous invite à visiter le site de SOS ANOSMIE / https://www.afaa-sos-anosmie.com

Merci pour votre article. J’ai perdu odorat et gout avec le Covid-19 et fais parti de l’étude menée par la Professeure.Salmon. J’ai rapporté mon expérience sur auparfum dans la discussion « Parfum & confinement ».

Je la recopie ici, si cela peut aider :

« Paris, samedi 15 mars, en me réveillant, je décide d’aller acheter Ylang 49 du Labo, je l’ai porté toute la semaine grâce à un échantillon, il m’obsède… A 11h, me voilà devant la boutique. Fermée. Je vais boire un café à l’angle de la rue, reviens trente minutes plus tard, la boutique est enfin ouverte. J’achète mon précieux. Le soir, je ressens des frissons dans tout le corps, je vais me coucher. Dans la nuit, la température monte, 39°5, je transpire…

Dimanche matin, j’ai très mal à la tête, une température à 38°5 constante, des frissons, une hypersensibilité de la peau, mal aux reins… Je vis avec un médecin, il a peu de doute, il en est même sûr, c’est le Covid 19. Incrédule, je reste toute la journée au lit, parfumé à Pot Pourri de Santa Maria Novella, la cologne que je mets lorsque je me sens malade pour aller mieux. J’ai toujours pensé que ce mélange aromatique de lavande, romarin et thym telle une potion magique, soignait, aidait à respirer, à se détendre, donnait de la force à qui le portait.

Lundi, les odeurs ont quelque chose de différent, c’est étrange, c’est effrayant. La fièvre est tombée mais les sensations fébriles sont toujours là. Le midi, je suis troublé par l’odeur du vinaigre balsamique dans ma salade ! A-t-il tourné ? Je n’en sens qu’une odeur d’alcool ! Je n’arrive pas à manger. J’ai l’impression qu’un filtre atténuant et déformant a été placé sur mon nez. Je décide de me parfumer à Rien d’Etat Libre d’Orange, je veux des odeurs fortes, pour me rassurer. Rien. Je ne sens plus rien.

20h, l’annonce du confinement tombe, seuls les commerces de premieres nécessités resteront ouverts. Je me dis que j’ai bien fait d’acheter Ylang 49 avant le Covid 19 !

La panique me prend mardi, je n’ai pas le nez bouché, je respire normalement mais je ne sens plus rien du tout. J’essaie frénétiquement des parfums sur mes bras, des parfums forts, des parfums reconnaissables – Gentry Jockey Club, Rien Intense Incense, Incense Rosé, Cuir Ottoman, N°19, Santal 33, Corsica Furiosa – aucune odeur. Plus de goût non plus. Je ne reconnais même plus le sucré du salé ! Des idées noires m’envahissent. Mon ami appelle une amie médecin ORL, lui explique la situation. Elle me préconise de faire des exercices dès à présent, sentir des odeurs simples. Il s’agit de lire le nom du produit – VANILLE, CAFE, ANETH, THYM, CANNELLE, CLOU DE GIROFLE, LAVANDE, CORIANDRE, VINAIGRE LEGER, MENTHE, CUMIN – avant de le sentir pour donner le temps au système sensoriel d’associer les deux informations. C’est le nerf olfactif qui ne fonctionne plus, les neurones qui ne connectent plus, cela arrive lors de certaines grippes, lors d’un traumatisme crânien… Ca revient, ou pas, on ne sait pas, ça devrait revenir, c’est ce que je comprends, j’espère, j’ai peur.

Mercredi, mon ami reçoit à son hôpital un mail d’une équipe mixte ORL- infectiologue issue de plusieurs hôpitaux de région parisienne à propos de cas d’anosmie brutale post-virale dont le lien avec le Covid 19 reste à confirmer mais semble de plus en plus probable. Cette équipe lance une étude sur ce phénomène , mon ami m’y inscrit, je dois aller me faire tester dans un premier temps à l’Hôtel Dieu. A 18h, j’y suis. Coton tige géant dans la narine gauche, les résultats me seront communiqués demain par téléphone.

Au levé, jeudi, je fais consciencieusement mes exercices. Je ne sens toujours rien, mais je me concentre, je me remémore les odeurs, je pleure. Je lave mon nez comme on me l’a conseillé avec du chlorure de sodium, 500 ml par jour à la seringue*… J’hésite à quand même me parfumer… Je ne le ferai pas. J’ai peur de fatiguer inutilement mon nez et de brouiller ma rééducation.
19h32, le téléphone sonne. : Covid +.

Vendredi, je regarde le carton du Labo avec l’Ylang 49 que j’ai mis dans le réfrigérateur samedi dernier… Covid 19, ça pourrait être le nom d’un de leurs parfums… La même nomenclature ! Mon ami tombe malade à son tour. Je n’ai pas récupéré l’odorat mais le goût semble revenir.

Tout doucement, la vanille, oui, je la sens, le café, la cannelle aussi ! Cela revient, je le sais, je le sens ! Nous sommes samedi 22 mars. Mon ami a eu une grosse fièvre cette nuit mais semble mieux supporter le virus, il va déjà mieux. Je n’ose pas encore me parfumer, j’ai peur de perdre le peu d’odorat récupéré… Je porte tout à mon nez, je sens, je sens, je sens.

Dimanche, il est temps de se parfumer de nouveau. Je réussis brillamment tous les exercices de rééducation. Je les aime ces odeurs. Je sors du réfrigérateur le flacon d’Ylang 49, la vendeuse m’avait dit d’attendre au moins trois jours, cinq dans l’idéal, pour le porter… C’est bon, je suis à J+8. Mon ami a perdu l’odorat à son tour. Chouette ! Je pourrais porter tous les parfums qu’il n’aime pas le temps que ça revienne pour lui « Tes cuirés là, ça sens trop fort ! » . Je le sais maintenant, oui, pour lui aussi, ça reviendra, l’odorat.

* attention : j’ai appris par la suite qu’il n’était pas conseillé de se laver les narines. »

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