Auparfum

Une Rose

3 février 2014, 20:29, par Opium

Bonsoir à tou(te)s.

J’ai suivi ces échanges avec une certaine attention et je vais me permettre de compléter ce qui a été dit jusqu’à présent par les différents intervenants, à propos d’Une Rose (j’en profite pour souhaiter un joyeux retour sur auparfum à Soff), d’Une Fleur de Cassie et de quelques autres compositions des Editions de Parfums Frédéric Malle avant tout, puis à propos des reformulations en général. Quelques jours de recul m’auront été nécessaires avant de fournir le tableau clinique correspondant à chaque cas. (Mân dieu, on dirait mes premières années de psycho !)

Tout d’abord, comment va Une Rose ?
Moins bien que par le passé, mais, elle reste toujours bien meilleure que près de 99 % des parfums actuels.
Pour être plus précis en termes de description olfactive plus détaillée, elle a perdu un peu de son lustre et de son arrondi passé. Je rejoins ce que ressent Jicky, elle est un peu moins ronde, pleine et fondue. On y sent énormément en tête maintenant, comme dans beaucoup de solinotes autour de la rose, le géranium avec sa caractéristique odeur de citronnelle. Elle est un peu plus "rustre", ou, plutôt, rustique : moins sophistiquée, elle se rapproche par exemple de Rose Absolue d’Annick Goutal. On le sentait (le géranium) un peu déjà auparavant, tout comme on détectait, si l’on était particulièrement attentif, les strates de la construction d’Edouard Fléchier pour constituer sa rose, "LA" rose, comme on soulèverait les différentes feuilles d’un mille-feuilles avec une fourchette : citronnelle aérienne comme des pétales de printemps, géranium à la verdeur d’épines, pétales pourpres vineux évoquant la noirceur et la profondeur du passage de saisons entre été et automne, animalité lancinante de l’absolu évoquant la sensualité virant sexuelle de la rose, symbole de l’amour. Tout y était, mais assez fondu, assez bien soudé, pour que les strates ne se dé-solidarisent pas. Aucune latte du parquet virtuel de cette composition ne paraissait se décrocher dans le plan global de la composition. C’était une rose pleine, entière et absolue, pas sa tentative.
Dorénavant, on y sent aussi quelque chose d’un peu rêche, d’un poil plus rugueux, ce qui n’était pas le cas auparavant : si terre il y avait bien, elle était plutôt terreau meuble humide que terre sèche qui s’effrite sous les doigts.
On dit souvent de l’eugénol que c’est épicé et chaud. Cela est vrai. Mais, à la différence du clou de girofle qui apporte un rêche proche du jersey selon moi au parfum au ressenti que l’on a dans le nez, l’eugénol confère un maintien lui aussi, mais tout en souplesse et en rondeur. S’il structure un parfum, cet élément le fait avec une sorte de lustre. A la manière d’une laque cirée sur un parquet ou un meuble en bois qui le(s) vitrifie et lui/leur donne un aspect lustré, l’eugénol me semble apporter une brillance que ne fournit pas le clou de girofle, fournissant lui des aspérités et des irrégularités qui ont l’intérêt d’accrocher le nez. L’eugénol possède une rondeur, une douceur que n’a pas le clou de girofle bien que tous deux "réchauffent" la composition où on les place me semble-t-il.
C’est ce lustre qui lissait et donnait de la brillance qui manque un peu aujourd’hui à Une Rose. On y détecte, ainsi, de ce fait, mieux le géranium à la citronnelle pour ensuite y détecter une facette chyprée, jolie, mais qui intrigue moins que par le passé. Le parfum perd un peu de sa part d’exceptionnel et de sa patine. C’est drôle, Jeanne a classé justement ce parfum en "chypré" lorsqu’elle a écrit son article. J’avoue que, précédemment, j’aurais plutôt classé ce parfum simplement en "floral" au travers de mon ressenti personnel. La perte du lustre et d’un peu d’épaisseur dernièrement révèle la structure boisée moussue à odeur de truffe de manière plus sensible et flagrante. On y perd un peu en fondu.
Entendons-nous bien, les différences, si elles sont sensibles, sont loin de la catastrophe. Simplement, je porte Une Rose, de ce fait, je maîtrise bien mon sujet.
Disons que de 21/20, elle passe aujourd’hui à 18/20 : on a connu pires dégradations de notes dernièrement chez Fitch et Standard and Poors et on y a survécu... Une Rose est un peu moins harmonieuse et exceptionnelle sans, toutefois, sombrer dans le générique. (Mais, je suis plutôt indulgent par nature aussi, d’autres seraient bien plus sévères et intransigeants.) ;-)
Tout autre est le cas d’Une Fleur de Cassie. (Nous allons quelque peu digresser. Mais, il n’y a pas d’article consacré à cette fragrance sur auparfum, Sixtine sur AmbreGris lui avait rendu un très beau et vibrant hommage (assez difficilement surmontable), mais, étant donné l’état actuel de ce qui a été un chef d’œuvre, il ne sera pas forcément utile de s’attarder durant une chronique sur le site...)

La dernière fois que j’ai ressenti un tel crève-cœur, c’est quand j’ai re-découvert Opium au Sephora du Cour Saint-Emilion en 2010 (ou plutôt son massacre).
"Eviscéré", voilà ce que je me suis dit dans les deux cas.
"UFDC" était un parfum plein et entier, une sorte de bloc massif assez peu évolutif, d’une densité rare, dont la majesté résidait justement dans son absence totale de concession, dans cette masse florale d’une densité telle qu’on pouvait à peine voir au travers. La cassie, animale, dense, bestiale, et pourtant assumant le paradoxe d’être également tout à la fois altière, indifférente, vieillotte et sublime, était à mille lieues du gentil mimosa mignonnet fugace qui tente timidement de (nous) signifier la fin de l’hiver. Si le mimosa a des pompons duveteux en guise de grelots, la cassie possédait l’épaisseur de boules de pétanque. Et, c’était parfaitement parfait ainsi. ;-)
Aujourd’hui, en lieu et place du temple en hommage aux floraux aldéhydés poudrés animalisés des années 20 à 40, un floral plutôt verdoyant plus transparent aux accents 70’s. J’adore les 70’s. Et la Disco. Je suis assez 70’s et Disco. Mais, ABBA, les néons bleus, les boules à facettes, les pantalons pattes d’éph’ et les effets d’eaux florales vertes ne vont pas si bien à Une Fleur de Cassie.
En lieu et place du manifeste massif aux floraux vintage affirmés existe aujourd’hui un floral qui évolue, tel un drame, en quatre actes :
- Un envol floral assez vert, très délié, souple et aérien caractérise aujourd’hui le parfum ; plus transparent, cet envol respire un peu mieux que par le passé, la cassie y est peu présente. Cet envol plus sensiblement vert par des notes plus détachées fait irrémédiablement penser aux floraux verts des années 70. Ce serait presque plus lumineux et vif ici, donc, presque plus intéressant. Mais, ce sera le seul moment où le parfum y gagnera selon mon humble avis.
- Ensuite, c’est l’absolu de cassie, avec sa très caractéristique odeur mêlant impression de viande bouillie en sauce et de frigo rempli et froid (comme les armoires réfrigérées à sandwichs de Monop’). Si la matière est fascinante (organique et évocatrice d’images qui en sont éloignées, elle partage, avec l’immortelle qui sent la sueur âcre et le costus à odeur de sébum, la particularité d’être une plante qui parvient mieux à évoquer l’humain que l’homme lui-même...), la sentir à nue, comme écorchée vive, n’a que peu d’intérêt. La matière fascine avec son odeur viandeuse étrange, mais, elle dérange aussi. Rares sont celles et ceux qui veulent porter la robe à viande de Lady Gaga ! Et, si on porte un parfum, c’est pour avoir quelque chose de plus stylisé, de mieux habillé et construit qu’une simple matière diluée dans l’alcool, aussi belle soit-elle. Or, si la cassie intrigue, "belle" en soi ne me paraît pas le qualificatif le plus approprié à propos de l’absolu de la matière concernée : osée, dérangeante, complexe, inattendue, clivante, transgressive, surprenante sont autant de termes qui conviendraient mieux. (Qui s’attendrait à sentir un Tupperware de viande bouillie en sauce sortant d’un frigo à partir d’une fiole de matière première végétale posée sur touche ?) Elle fournit ainsi à la fois une sensation carnée, plus que charnelle, organique, à la dimension florale du mimosa poudré et vert. Mais, aucun besoin d’avoir l’impression d’être placé durant un cours d’olfaction à décomposer, triturer, analyser et disséquer une matière. C’est le travail du (futur) parfumeur, pas celui du/de la parfumé(e) qui cherche juste à sentir bon (et beau pour la version précédente de la "Cassie").
- Puis, arrive (enfin !) l’impression de reconnaître Une Fleur de Cassie, son poudré vintage entre altier et. chaleureux - fourrure. Mais, seulement après les deux précédentes étapes. Là, on parvient à déceler le parfum connu auparavant, ce qui n’est pas vraiment le cas durant les étapes précédentes.
- Mais, ce faisant, de manière spectrale au final. En effet, à peine a-t-on retrouvé la "Cassie" brièvement, que déjà on la perd à nouveau tant, en lieu et place d’un parfum épais, dense, consistant et opaque réside une aura transparente, spectrale, qui respire mieux, mais est translucide au point de paraître inexistante, altérée et éviscérée en somme. Fantomatique, elle sera la cassie de conclusion.
Le sillage, qui n’a jamais été hyper large tant il était compact auparavant (comme replié ou écrasé sur lui-même), s’améliore à peine, juste sur la tête plus rayonnante, avant de s’amincir cruellement pour être peu, voire presque pas, perceptible.
La tenue, qui faisait le tour du cadran sans problème, ne parvient plus à aller du matin au midi ni du midi au soir.
Frédéric Malle a déclaré avoir simplement modifié le mode d’extraction de la cassie pour passer à une nouvelle technologie plus high-tech (la distillation moléculaire semble-t-il). Si tel est bien le cas, ce seul changement a eu un impact énorme. Et, il serait, selon moi, la démonstration que, parfois, le mieux est l’ennemi du bien. ^^ (Je mets des symboles qui plaisantent, mais, l’état de ce parfum ne me fait pas vraiment soulever les commissures des lèvres...)
Je n’apprécie pas la nouvelle version de ce parfum, avec ses hauts et ses bas, ses nouveaux tours de grand huit, ses variations où le trop peu, surtout, s’exprime... Je préférais la radicalité précédente d’une beauté passée avec ses rides qui ne cherchait pas, telle la plupart des stars actuelles à tant chercher à avoir l’air jeunes qu’elles en finissent par ressembler à un mutant entre Roswell, un oreiller trop remplumé et un chat. Sauf que dans le cas de la "Cassie, les retouches ne la font pas ressembler à un "pillow face" trop gonflé à l’hélium, mais plutôt à un visage trop émacié ayant subi trop de liftings dans les années 80, squelettique, anguleux et osseux sous son masque facial un peu figé.
Bien entendu, des effets de macération peuvent jouer expliquant une partie de la profondeur perdue, mais, il y a trop de "petites choses", une sorte de cumul, qui me fait croire à des variations importantes.

Abordons maintenant un chouilla les reformulations.
A propos de ce que disent ou pas les vendeurs, il s’agit peut-être souvent juste de l’expression d’un inconfort face à une situation, celle d’un(e) client(e) qui vous annonce un état de fait, qu’ils ne maîtrisent pas ou peu selon ce qu’on veut bien leur dire ou non dans leur hiérarchie. Les vendeurs sont, bien souvent, les derniers informés. S’ils ne s’expriment pas, peut-être est-ce tout simplement car ils ne savent pas quoi penser dans certains cas ou pour éviter de dire une erreur ou une fausseté. Bref.
Quant à la possibilité de reformuler pour des raisons de coûts, au moins, soyez rassuré(e)s, pas chez Frédéric Malle ni certaines autres marques. Ils augmentent suffisamment leurs tarifs, par ailleurs, pour ne pas avoir à baisser leurs coûts. Je pense qu’une certaine vision bourgeoise veut que certains, dont Frédéric Malle, préféreraient manger leur chapeau plutôt que de faire "comme les autres", le mainstream économe à 2,50 euros le flacon vendu 100 ! En revanche, une volonté de modifier l’esthétique d’un parfum, là, peut-être... Et, le besoin de préférer se soumettre à une reformulation difficile plutôt que de supprimer un parfum qui est vendu, cela, évidemment, oui (c’est bien de cela dont il a été discuté ici).
On peut lire, ici et là, depuis fort longtemps, que Carnal Flower aurait été reformulée. Or, si son succès commercial est bien supérieur à celui d’Une Fleur de Cassie, ce qui probablement explique la plus grande attention qui lui est portée, je ne peux que rester circonspect à l’égard de cette question des reformulations tant dans certains cas il est difficile de déceler la vérité. Tant de commentaires pour Carnal dont on n’est pas sûr même si un fort doute persiste alors que presque rien est dit sur UFDC (on croirait l’abréviation pour une association de défense des consommateurs ^^) dont la "retouche" est pourtant indéniable. Dans un cas, un point d’interrogation reste en suspens ; dans l’autre, une certitude affirmée d’un changement autour duquel on n’échange presque pas. Pourtant, il a beaucoup été échangé autour d’une incertitude dont on ne sait où se situent les curseurs de la rumeur et de la paranoïa et presque rien concernant un élément bien plus sûr donc. Cela m’étonne, je dois bien l’admettre.
Tout cela, depuis des années, avec tous ces changements qui ont lieu, mais dont on s’entend affirmer de manière péremptoire avec un ton cassant que "Mais, nâân madame, ça n’a pas bougé, c’est votre (vieille) peau (usée) qui ne tient plus les parfums et votre nez qui s’est habitué !" (Cela est parfois vrai, mais, pas systématiquement...) Mais, bien entendu... Tout cela, donc, a tendance à rendre un peu parano. Quand nous ment-on ? Quand a-t-on raison ? Où se situe la vérité ? Pire que les saisons d’X Files ! ^^ (La prochaine fois qu’on me fait le coup du "Mais, pââs du tout !", je pense que la gifle risque de partir avant que je la contrôle... ^^)
A propos des parfums Frédéric Malle : ils sont très beaux (pour la très grande majorité) ; certains sont, ou ont été, les meilleurs dans leur genre. Mais, élaborer un grand parfum, cela implique souvent quelques mêmes tics nécessaires à la création :
- c’est, souvent, d’utiliser des formules très équilibrées, maîtrisées, où chaque élément s’équilibre dans le système constitué avec les autres éléments dans une équation juste mais difficile à obtenir ;
- souvent, au contraire, d’utiliser des formules avec des surdoses d’un effet ou d’une matière, ce qui va créer un fort impact ;
- souvent encore d’user de beaux matériaux dont les naturels qui comportent des centaines de molécules différentes. Or, plus il y a molécules, plus grandes sont les chances que certaines soient visées par l’IFRA (la rose en est le meilleur exemple !).
Or, l’IFRA recommande de réduire l’exposition globale en évitant les surdoses de matières. Or, enfin, justement, les parfums Malle, pour affirmer leur superbe caractère sont à la fois surdosés en naturels complexes et composés par surcharge d’un ou plusieurs effets par blocs dans un même parfum et possèdent, souvent, un équilibre initial dû au talent de son concepteur qui est fragile.
Donc, oui, les parfums ont changé, et pas forcément en mieux.
Mais, dans quel état seront-ils dans 5 ou 10 ans ?
Je ne souhaite pas être alarmiste, mais, les recommandations de l’IFRA, si elles visent la sécurité allergique des personnes, auront inéluctablement pour effet de toucher d’abord les parfums à haute valeur ajoutée artistique de par les moyens mêmes nécessaires à la constitution d’un grand parfum ! C’est malheureux, mais les soupasses fruitasses muscaillées insignifiantes actuelles ne seront que peu touchées : en jouant une partition petits fruits + petiotes fleurs diverses méconnaissables + patchouli cadavérique mais "safe" + petite vanille + petits muscs lessiviels + gros caramel calorigène mais "safe" lui aussi, là, on ne prend pas beaucoup de risques, tout est dilué, ET le parfum (insipide) ET le ressenti qui va avec ET le risque de sentir modifié (même si reformulation il y a, l’impression globale survivra : on peut toujours retirer un légume dans un potage 15 légumes, l’impression globale de goûter à de la soupe du jardin restera...).
C’est malheureux, mais la beauté est à la fois plus complexe à composer, plus exigeante et donc difficile à appréhender, mais aussi plus fragile à préserver dans sa forme initiale...
Seule solution : "STOOOOOCKS !" ;-)
Sur ce, après ce gigantesque pavé aux analyses millimétrées que j’espère utile(s), je vous souhaite une excellente soirée.
Opium

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